• Histoire d'une annexion (heureusement) mise en échec, celle du canton du Valais par Napoléon

    La Suisse (Confédération helvétique) est un pays capitaliste qu'il ne faut certes pas idéaliser outre mesure ; mais il faut tout de même lui reconnaître ce fait essentiel, d'être formée de pays-bassins de vie (cantons) démocratiques et souverains qui ont au cours des siècles, peut-être grâce à leur "forteresse naturelle" alpine, victorieusement résisté à toutes les tentatives d'annexion des grands États voisins, et ainsi, à la triste destinée de territoires dont toutes les décisions régissant la vie quotidienne sont prises par les technocrates d'une capitale à des centaines de kilomètres...

    "Le 13 novembre 1810, les députés valaisans chargés de négocier avec l’Empire français sont réunis chez le ministre français Champigny. Celui-ci leur signifie l’annexion pure et simple du Valais et le rattachement du Vieux Pays à l’Empire napoléonien. C’en est fini de la République du Valais et de l’indépendance séculaire des Valaisans ! C’est la consternation parmi la délégation valaisanne qui en reste… muette de stupeur ! 

    Par décret impérial du 12 novembre, le Valais est en effet transformé en un simple département français, sous le nom de « Département du Simplon ». Nom révélateur qui montre bien qu’elle était la finalité de cette annexion aux yeux de Napoléon : s’approprier et contrôler le passage stratégique du Col du Simplon qui facilitait les mouvements de troupes entre la France et les plaines de l’Italie, face à l’Empire austro-hongrois. 

    Histoire d'une annexion (heureusement) mise en échec, celle du canton du Valais par Napoléon
    Le village de Simplon, vers 1800

    Très vite, les demandes tatillonnes du préfet Rambuteau et les tracasseries des nouvelles autorités françaises déplaisent fortement aux Valaisans, y compris à leurs autorités communales qui font la sourde oreille, jouent la montre et lanternent à répondre dans les délais et avec précision aux questions posées par l’administration ! Ou prétextent avoir égarés les papiers, ne pas avoir reçu les formulaires ou ne pas savoir lire.

    La résistance à l’occupant français s’organise à la valaisanne, de façon obstinée, un peu à la manière corse. Les nouveaux maires nommés, tous valaisans de souche, se font malicieusement les complices de la population et se complaisent à trainer les pieds et à  ne pas répondre aux courriers de l’administration centrale, comme le souligne Christian Massy d’Anniviers, qui écrit à propos de la nouvelle loi sur l’impôt successoral : « Heureusement pour nous, par un effet de la Providence de Dieu, nous avons un maire qui, bien loin d’exécuter la sévérité de cette loi comme tant d’autres, l’a modifiée et conservé l’intérêt général de sa mairie, jusque même à s’exposer à des amendes. Mais Dieu protège toujours ceux qui ont le cœur droit et qui marchent en sa présence avec sincérité, (si bien qu’) il fut préservé de tous dangers ». 

    Pour le préfet Rambuteau et l’administration française, c’est le début d’une « Enquête corse » version valaisanne ! Trois ans de chicaneries et de rebuffades de ces satanés Valaisans à la tête plus dure qu’un Breton indépendantiste et à la malice égale à celle d’un Corse de Corsica Nazione ! 

    Les Français se heurtent à un mutisme crasse, à une mauvaise foi évidente et à un farouche esprit de résistance des Valaisans, plus obtus qu’on mulet entêté, qui refusent obstinément de se plier aux nouvelles lois qu’ils trouvent insupportables, bien décidés à ne pas sacrifier leurs antiques libertés et à ne pas obtempérer à cette administration étrangère honnie, venue du dehors et qui n’est pas valaisanne ! Bref, les Français ont tout faux !

    Histoire d'une annexion (heureusement) mise en échec, celle du canton du Valais par Napoléon

    Mais ce qui inquiète et braque le plus les Valaisans, très pieux et catholiques, c’est la politique anticléricale menée par les Français à l’égard du clergé local. Le 13 janvier 1812, un nouveau décret impérial supprime les corporations religieuses et les ordres monastiques dans tout le nouveau Département du  Simplon. Les seules à rester tolérées sont « les maisons du Saint-Bernard et du Simplon (dont Napoléon a besoin pour loger ses officiers en cas de franchissement des cols par des troupes), les sœurs grises de la charité de Sion et les congrégations dans lesquelles on ne fait pas de vœux perpétuels et dont les individus sont uniquement consacrés par leur institution soit à soigner les malades, soit au service de l’instruction publique ». 

    Les Capucins installés depuis le 17e siècle à Saint-Maurice et à Sion sont expulsés et contraints par l’autorité d’occupation française à quitter le Valais, au grand dam de la population qui s’en étouffe d’offuscation. 

    À Monthey, le père capucin Cyprien Riondet, victime de l’arrêté impérial, écrit : « Leur sortie fut la cause d’un regret et d’une consternation publique et, à notre passage par les paroisses, les gens sortaient de leur maison, pleurant et se lamentant et nous donnant mille bénédictions ».  À Saint-Maurice, l’expulsion des Capucins est si mal acceptée par la population et les autorités locales que le conseil municipal de la ville décide de leur fournir des chars pour leur permettre de gagner Bulle plus facilement et sans trop de fatigue. À Monthey, les habitants sont si malheureux de leur départ que la population organise une grande collecte d’argent à leur intention. 

    À Collombey, la suppression du couvent de sœurs Bernardines ne soulève, en revanche, aucune protestation, « tant elles étaient nulles de toute nullité » écrit le chanoine Anne-Joseph de Rivaz. 

    Le 26 décembre, l’autorité d’occupation française va plus loin et décide par décret de réunir la vénérable abbaye royale de Saint-Maurice d’Agaune à la non moins vénérable Maison hospitalière du Grand-Saint-Bernard, de façon à fusionner les deux institutions religieuses en une seule entité, placée sous l’autorité du Prévôt du Grand-Saint-Bernard. Cette décision soulève la consternation à Saint-Maurice et dans tout le Valais, tant on s’étouffe d’offuscation devant ce manque de respect pour l’abbaye fondée en 515 par le prince burgonde Sigismund, fils du roi Gundobald !

    jj

    Bâtiments et clocher de la royale abbaye de Saint Maurice d'Agaune, fondée au 6e siècle par le prince burgonde Sigismond et dans laquelle furent sacrés tous les rois de Bourgogne. On connaît l'importance, au Moyen Âge, des abbayes comme lieux fondamentaux autour desquels se formaient des pays-bassins de vie et la conscience populaire d'appartenance à ceux-ci.

    Sous la République indépendante du Valais (1805-1810), Derville-Maléchard, agent au service de l’Empire français, avait tenté à plusieurs reprises, mais en vain, de faire supprimer plusieurs dizaines de fêtes religieuses chômées, qu’il jugeait préjudiciables au développement de l’économie. Les Valaisans s’en étaient étouffés de mépris, devant ce manque de respect pour la Sainte et vénérable religion ! Ce qui fait que Derville-Maléchard était reparti à chaque fois la queue entre les jambes, devant le refus obstinés des autorités valaisannes de supprimer des fêtes religieuses célébrées depuis la nuit des temps. 

    Dès l’annexion du Valais à l’Empire, il prend sa revanche et réussit à contraindre l’évêque Mgr Joseph-Xavier de Preux de supprimer de nombreuses fêtes catholiques. 

    Le chanoine Anne-Joseph de Rivaz, écrit à ce sujet : « En conséquence, Monseigneur de Preux ordonna aux curés de ne plus annoncer des fêtes au prône, de ne plus chanter de messes, de ne plus carillonner et d’exhorter leurs peuples à se résigner à ce nouvel ordre des choses. Quelques curés de la plaine en vinrent facilement à bout ; les curés de la montagne se bornèrent à une basse messe, mais leurs peuples n’en chômèrent pas moins ces fêtes et n’en fréquentèrent pas moins les églises (…). Il est vrai que l’évêque et le clergé n’étaient pas fachés que le peuple, malgré toutes ces réformes du culte publique, s’obstinât à chômer, et tandis qu’ostensiblement on en ordonnait la suppression, on autorisait en sous mains les curés à laisser les peuples contrarier les vues du gouvernement. »

    L’« Affaire corse », ou plutôt « l’affaire valaisanne » continua ainsi à empoisonner durant trois ans les relations de l’autorité d’occupation française avec la population valaisanne, farouchement résolue à n’en faire qu’à sa tête et à ne pas obtempérer aux ordres du préfet français Rambuteau. Les Valaisans font la sourde oreille aux arrêtés d’une administration non valaisanne, venue du dehors et d’au-delà de la Grande Gouille qu’on appelle lémanique, et à ne pas tenir compte des décrets impériaux pondus par Sa Majesté l’Empereur Lampe-au-Néon Pelle-à-Tarte ! 

    À la fin décembre 1813, lorsque les autorités et les troupes d’occupation françaises s’enfuient précipitamment avec Rambuteau à travers les hautes neiges des cols de La Forclaz et de Balme, la population valaisanne laissa éclater bruyamment sa joie de retrouver enfin sa chère liberté et son indépendance de pouvoir à nouveau se gouverner par elle-même, comme l’écrit Christian Massy, contemporain des évènements :

    « Nous devrions de jour et de nuit témoigner à Dieu nos justes remerciements de la faveur signalée avec laquelle Il nous a délivré de l’esclavage dans lequel les Français nous ont pour ainsi dire enchaînés depuis le mois de novembre 1810 jusqu’au mois de décembre 1813 ». 

    C’en est fini du Département du Simplon et de l’oppression française ! Depuis lors, il ne fait pas  bon être français en Valais… 

    Avec le temps, l’hostilité et le ressentiment se sont estompés mais il en reste encore bien des traces, même si désormais les Valaisans ne leur écrasent plus forcément le crâne à coups de masse sur l’enclume, comme ce fut le cas à Varone (Varen) en 1799 !"

    jj
    Les députés du Valais en 1815, sous le nouveau drapeau cantonal à 13 étoiles.


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